lundi 22 juin 2009

Au lit avec un ami




Le son imaginaire de son horloge biologique la fit sursauter hors du sommeil. Les yeux à peine ouverts, les cheveux en bataille et dénudée, sortie de ses couvertures, elle jeta un regard absent à l’heure, puis à l’homme qui, toujours endormi à ses côtés, lui souriait encore, et se retourna pour mieux l’ignorer, couvrant son visage de ses bras. Mais il était temps de commencer la journée, puisqu’il était déjà plus de quinze heures. Elle se tira du lit difficilement, regrettant déjà ses draps, et se dirigea d’un pas incertain vers la cuisine. Elle prépara le café comme le ferait une automate, puis elle abandonna sa tasse sur le comptoir sans même l’avoir goûté.

En deux pas, elle atteignit rapidement la salle de bain et vomit dans la cuvette tout le mal de vivre qu’elle avait bu la veille, après le travail. Après s’être longuement rincé la bouche et tout le visage à grande eau, elle leva la tête et son regard croisa celui que son reflet lui renvoyait. De nouveau elle eut la nausée, mais cette fois elle ravala son orgueil, et se lançant un regard de défi elle entreprit de faire sa toilette.

L’eau de la douche était chaude, poignante. Elle se rinça longtemps, puis fit tourner les robinets et se lava sous l’eau glaciale. Chaque goutte l’atteignait comme une aiguille, mais elle n’y portait pas attention, elle semblait insensible. Elle repassa à l’eau bouillante et s’assied au fond du bain, les bras entourant ses jambes, repliée sur elle-même.

Dans la chambre et au salon, elle ouvrit grand les fenêtres et prit un moment pour observer la vie passée à l’extérieur d’elle-même. La ville était déjà en pleine action, et le brouhaha qui montait jusqu’à la fenêtre du petit appartement lui redonnait vie. Au bas de l’immeuble, un jeune couple se baladait en se tenant la main. Un peu plus loin, un père montrait des canards à son fils, debout sur un pont. Le petit café d’en face avait déjà reçu ses habitués, et seuls y demeuraient quelques retardataires dans son genre, profitant de leur journée de congé en étirant la matinée.

Elle choisit une table à l’extérieur, malgré qu’il fit plutôt froid en ce début d’été. Elle ne voulait qu’un café, et un peu de temps pour observer les autres. D’épais nuages blancs couvraient le ciel, et les passants frissonnaient lorsqu’un coup de vent les surprenait. Elle ajusta son foulard, remonta la fermeture éclair de sa veste. Ce matin, Amsterdam lui appartenait, et sa vie reprenait toutes ses couleurs d’innocence. En repensant justement aux événements de la veille, elle offrait à qui le voulait ce sourire indescriptible et contagieux de ceux qui se sont approprié leur vie.

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Il ouvrit l’œil au son de la porte d’entrée qu’on refermait. À côté de lui, la place qu’elle devait occuper était déjà libre et froide. Il tourna la tête pour constater l’heure, et se rappeler qu’il était déjà bien en retard au travail. Tant pis. Ce serait un jour de congé. Il se leva pour aller ouvrir les grands rideaux qui privaient la chambre de la lumière du jour. Le ciel blanc le fit grimacer un instant par son éclat, mais la ville était magnifique et il sentit que la vie n’attendait que lui.

La café était déjà près, encore chaud, et embaumait la pièce d’une odeur presque exotique. Il grignota un croissant debout, avec peut-être un bout de fromage. Il sentait encore sa présence, et en ressentant son aventure de la veille il eut un sourire franc, qu’il laissa sur son visage encore quelques instants.

Il se doucha longuement, profitant de chaque goutte d’eau qui atterrissait sur sa peau. Il fredonnait l’air connu d’un grand classique populaire anglophone, et avait laissé la fenêtre ouverte pour offrir plus de place à son bonheur matinal.

Il sortit sans destination précise, simplement pour regarder le monde tourner alors que lui vivait un rêve. En changeant de trottoir il l’aperçut, assise avec son café et son sourire. Il accéléra le pas en passant la main dans ses cheveux, et avant d’aller la rejoindre entra commander un café aussi.

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Elle avait déjà reçu deux clients ce soir. Elle terminait sa toilette lorsqu’elle entendit cogner à la porte. Mais elle n’ouvrirait pas; si les rideaux étaient tirés, c’est qu’elle était occupée. Elle en avait marre de ces jeunes touristes qui cognent à toutes les portes simplement pour déranger. Elle en avait assez de ces habitués qui se l’appropriaient. Alors elle prit plus de temps.

Elle reprit son poste et tomba nez-à-nez avec un homme, le bras levé comme pour frapper à la porte. Il lui était familier: ils faisaient partie du même groupe d’étude. Étonnée, embarrassée, elle demanda sèchement ce qu’il lui voulait. Il lui présenta quelques billets, ainsi qu’un sourire en coin qui voulait probablement dire qu’il comprendrait qu’elle refuse. Mais justement parce qu’elle aurait pu dire non, elle accepta.

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Il entra dans la petite chambre d’un pas hésitant, regrettant presque son initiative. Il était souvent sorti avec elle, mais elle refusait toute relation, qui aurait pu nuire à son travail, puisqu’il incluait presque le célibat. Elle se prostituait dans le quartier voisin: le Quartier Rouge, comme on l’appelait. Il voulait lui montrer qu’il respectait ce qu’elle faisait.

Elle lui demanda encore ce qu’il voulait, mais sur un ton plus chaud, avec un millier de sous-entendus. Elle était devenue une autre qu’elle-même, une icône sexuel, un fantasme. Mais c’était à elle qu’il en voulait, alors il lui dit qu’il aimait simplement que les choses soient simples. Elle s’avança, et en le poussant lentement vers le lit, elle lui retira peu à peu ses vêtements. Puis elle se dénuda du peu qu’elle portait et s’étendit, offerte, le regard tamisé, un visage qu’il ne lui reconnaissait toujours pas.

Il effleura son pied du revers de la main. Son expression se troubla un peu, et dehors le silence envahit la ville. Il embrassa sa cheville, son tibia, son genou, sa cuisse. Lentement. Elle frissonna, mais demeura immobile, curieuse, tentée. Sa main remonta le long de la jambe galbée qu’elle lui abandonnait. Mais il se releva et tranquillement fit le tour du lit pour retrouver sa tête. Elle le fixait toujours du regard. Elle sursauta lorsqu’il lui prit les mains, et laissa glisser les siennes le long des bras jusqu’à la poitrine dénudée. Elle se redressa, lui décrocha un regard assassin et voulut se relever. Elle venait de se rappeler qu’elle était une putain. En une seule enjambée il atteint son porte-monnaie et doubla la mise, la posant sur la table. Alors elle se reprit: il était conscient de ce qu’elle était.

Il la repoussa sur le lit, doucement mais fermement, et recommença son manège, explorant son corps de ses mains. Il les posa finalement sur ses yeux, qu’elle garda fermés ensuite. Alors il déposa sur ses lèvres un baiser, si léger qu’il n’en parut presque rien. Il l’embrassait sur tout le corps, d’abord lentement, puis avec plus de ferveur. Et elle demeurait immobile, frissonnant par instant.

Lorsqu’il entra en elle, elle courba le dos sur toute la longueur, laissa sa tête tombée vers l’arrière et abandonna toute son air. Elle n’était plus putain; elle était amante.



AUDREY

1 commentaire:

  1. Oh ! Elle est géniale ta nouvelle Audrey ! Franchement Bravo! J'ai l'image de notre super appart et du café au joli serveur qui me reviennent à l'esprit... Ohhh...

    On se revoit bientôt Audrey-yé-yé!!

    Marilyne

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