dimanche 21 juin 2009

Les Amours d'Amsterdam



Ils s'étaient rencontrés dans l'un de ses cafés aux saveurs de la douce paresse du temps. Elle était venue à Amsterdam pour affaire, il était venu faire la fête. Un matin semblable à tous les autres les avaient déposés à la même croisée. Elle lisait un livre, il se remettait mal de sa folle nuit. Elle s'était levée, il l'avait prise pour la serveuse. Ensemble, ils avaient ri de la méprise. Il l'invita à boire un autre café, elle accepta.

Une heure s'écoula, ils ne la virent pas passer. Les compagnons de l'homme arrivèrent, ils s'étaient inquiétés; ils l'attendaient. Il hésita, se leva et la salua. Le soir venu, malgré la bière, malgré la jolie Allemande assise près de lui, il n'était pas là. Son esprit vagabondait, il était loin, avec elle. Où était-elle ? Que faisait-elle ? Il ne goûtait plus à la vie branchée qui l'avait tant enivré la veille. Il n'avait aucun plaisir à fumer ni même à boire l'absinthe qu'on lui proposait; il n'avait qu'une seule obsession : elle. On s'en aperçut, on le lui reprocha. Il se leva, haussa les épaules et disparut dans les rues devenues calmes et silencieuses.

Au matin, plein d'espoir, il retourna au café. Elle était là, elle aussi l'attendait. Ils se promirent de passer la journée ensemble. Ils se baladèrent et visitèrent des musées, seulement, ni l'un ni l'autre ne vit Le champ de blé aux corbeaux de Van Gogh, ni ses célèbres Tournesols; les toiles les subjuguaient moins que la beauté qu'ils admiraient chez l'autre. Elle était si jolie, il était si beau. Ils marchèrent, ils parlèrent, il se découvrirent. Il n'était plus le même, elle se sentait différente.

Tard dans la nuit, devant la porte de la femme, ils hésitèrent. Il partait demain, elle rentrait chez elle. Ils n'avaient rien à perdre, ils avaient tant à donner. Elle poussa la porte, il entra. Ils s'aimèrent longtemps, doucement, passionnément. Elle se sentait femme, il goûtait à la force de son être.

Le jour se leva, ils se séparèrent. Il ne lui donna pas son adresse, elle ne lui laissa pas son numéro. Chacun tourna le dos à cet amour clandestin; son mari l'attendait, sa copine lui manquait.

***



Il était venu pour la première fois à Amsterdam. Dans les rues de la ville, il errait sans trop savoir où aller. Essayait-il d'oublier un ancien chagrin ? Il ne voyait pas la vie qui s'animait autour de lui: les gens venant de partout pour goûter aux plaisirs de la place, les boutiques ouvertes aux passants, les édifices vieux de 200 ans. Il n'entendait pas les différentes langues se mélangeant, les rires de joie et les conversations de tout genre. Toujours, tête baissée, il avançait, l'âme et le coeur sans vie, suivant ses pieds, qui, sans qu'il ne s'en douta, l'amenaient tranquillement au coeur du quartier rouge, le fantasmatique « Red light ».

Devant et derrière lui, de tous côtés, des femmes, des prostituées, de leur vitrine, souriantes et provoquantes, le regardaient passer. Mais lui, il ne les voyait pas; il n'apercevait pas cette chair ferme mise à nue devant lui pour quelques Euros.

Soudain, l'un de ces étranges pressentiments qui parfois vous saisissent lui fit lever les yeux. Derrière sa vitre, auréolée de néons rouges, elle était là, elle l'attendait. Il frémit, quelque chose en lui remuait, reprenait vie. Vêtue d'un sous-vêtement de dentelle noire, elle le regardait, elle l'attendait. Sans comprendre ce qu'il lui arrivait -ce n'était pas dans ses habitudes de requérir le service de prostituées-, il pénétra dans son étroite cabine. Elle avait de beaux cheveux, noirs et soyeux, ses yeux d'un vert éclatant respiraient la mer; elle était belle.

Comme à son habitude, elle déboutonna d'abord la chemise de l'homme, son client. Puis, langoureusement dans un mouvement empreint de grâce et de sensualité, elle dansa pour lui. Elle était fine et élancée; tout de suite, il l'aima.

Comme elle l'avait fait cent fois déjà, elle détacha les agrafes de son soutien-gorge, prit les mains de l'homme et les plaça autour de ses reins. Elle était douce et son regard, d'une grande profondeur, le regardait; il l'aima encore plus.

Elle jeta un coup d'oeil à l'horloge, puis s'étendit, l'attirant contre elle. Les instants qui suivirent furent d'une intensité à laquelle la vie ne lui avait depuis longtemps donné l'accès. Au fur et à mesure qu'un amour vrai grandissait en lui, le bonheur revenait chez lui. Ils ne formaient plus qu'un maintenant, pour elle, il aurait tout donné. Jamais il n'avait été si bien, si libre; sa joie explosa.

Il aurait voulu la connaître un peu plus, savoir son nom, ce qu'elle faisait, ses rêves, ses goûts, ses aspirations, mais une cloche sonna. Aussitôt, elle se leva, remit ses quelques vêtements, tendit la main; son boulot était fait.

Sorti de son rêve, de son extase, il reprit sa route, ses tracas, son chagrin, puis s'éloigna tranquillement de cet amour éphémère.

***



Il avait toujours été curieux, c'était dans sa nature. Il était allé à Istamboul, à Paris, à Londre, à Shangai et à New York, mais c'est à Amsterdam qu'il se trouva le mieux, c'est à Amsterdam qu'il prit assise. Il aimait se balader tout en suivant les longs canaux qui sillonnaient la ville. L'architecture propre à l'endroit ne le laissait jamais indifférent. Toutes ces maisons, à la fois étroites et élancées, semblables, mais différentes, le charmaient, le fascinaient.

Elle était à vélo lorsqu'il l'avait aperçue pour la première fois. Il se trouvait alors sur l'un des innombrables ponts de la ville lorsque, sans qu'il ne la vit arriver, elle faillit le renverser. Poursuivant son chemin, elle s'était retournée et lui avait lancé l'un de ces regards qui, parce qu'insaisissables, vous transpercent l'âme. Elle avait une abondante chevelure blonde qui virevoltait librement au vent. Il était séduit.

À tout hasard, il la croisa un peu plus tard. Elle était assise au rebord d'une fenêtre et regardait, l'air rêveur, la vie qui s'écoulait tout en bas. Il tenta de pénétrer son esprit, de pénétrer ses pensées. Il les imaginait douces et paisibles. Vraiment, elle le fascinait.

Pourtant, qu'avait-elle de plus que les autres ? Dans toute cette foule, pourquoi l'avait-il choisi elle ?

Une autre fois, il l'aperçut à travers la vitre d'une petite pâtisserie. Elle venait d'acheter quelques croissants. Cette fois, il était décidé de lui parler, de ne pas la laisser filer. Il voulait la connaître. Seulement voilà, lorsqu'il pénétra dans la boutique, tel un mirage, elle avait disparu. Les jours suivants, il les passa à arpenter toutes les rues. Il retourna même à sa fenêtre matin et soir. Il ne la vit pas. Interrogeant les gens du quartier, il apprit qu'elle habitait ici. Décidé, emporté par l'air de folie qui flotte sur tout Amsterdam, il rentra chez lui. Sachant désormais où se trouverait son bonheur, il vendit tout et retourna, cette fois pour de bon, dans sa ville chérie. Il s'y installa et y ouvrit un un petit commerce à la mode de son pays.

Puis, un beau jour, elle franchit le seuil de sa boutique. Elle avait le même sourire aux couleurs fraîches de la liberté. Elle entra pour de bon dans sa vie. Ce fut le commencement d'un amour éternel, il ne la quitta plus.

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