vendredi 12 juin 2009

Littérature et politique











































Le voyage ne permet que très rarement le repos. Une constante envie de la quête et de la découverte tient l’esprit dans un éveil diligent. Dans la foulée de ce furetage dans une ville qui nous est peu familière, la rupture avec les habitudes d’un quotidien laissé loin derrière, quelque part à Montréal, peut, à l’inverse, entraîner quelques effets négatifs. Le corps, maintenu, avec l’esprit, dans un état d’éveil épuise ses forces, et notre sommeil – celui que nous ramenons de Montréal, est altéré. Il devient donc parfois difficile de pleinement jouir de la découverte, et la curiosité du voyageur se voit parfois refreiner par la fatigue.

C’est ce que j’ai ressenti hier matin lorsque mon téléphone portable (qui, non alimenté par un signal, n’a pour seules fonctions que de me donner l’heure et me priver de sommeil) a, vers 8 heures, laissé retentir une sonnerie : la reprise très agressante en sonorité kitsch du « Menuet en sol » de Bach. En maugréant, et peut-être même en jurant intérieurement -- je ne sais plus trop, je me suis levé. Nous étions, ce matin, attendus au Parlement de la Communauté française de Belgique.

C’est à l’Hôtel de la Ligne que nous devions nous rendre. Il m’a semblé qu’en cette matinée grise, notre esprit s’est quelque peu mis en éveil au moment où nous avons aperçu cette splendide construction de pierres blanches, édifice chargé d’histoire (dont le parc frontal a été le théâtre des affrontements de 1830). L’édifice a fait l’objet d’une refonte au fil du temps, et l’intérieur offre à la vue une œuvre architecturale très appréciable où le style néoclassique se fusionne avec le style contemporain (qui semble osciller entre le postmodernisme et le déconstructivisme) dans une étonnante harmonisation.

C’est Laurent Galas, un ami de Marie-Claude, qui nous y a accueillis, ponctuel comme une sonnerie de réveil.

- Mais que peuvent bien faire des lettrés, profs et étudiants, dans un haut lieu du système politique belge?

C’est simple, le Parlement de la Communauté française de Belgique est l’instance législative qui représente la communauté francophone de Bruxelles et de Wallonie. Les députés qui y siègent se chargent de proposer, rédiger et voter des décrets qui, en Belgique, ont valeur de loi. Ces décrets concernent surtout l’Éducation, la Culture, le Sport et la prévention dans le domaine de la Santé (la distinction est importante). Là où nous trouvions notre intérêt, c’est que la Culture se scinde en sous-domaines, tels que la littérature, le cinéma et le théâtre.

Dès l’amorce de la rencontre, nos hôtes, Laurent – qui est collaborateur du Sénateur Alain Destexhe – et une dame qui semble responsable de l’accueil au Parlement, nous ont fait mentalement et visuellement pénétrer dans le labyrinthique système politique belge. Même si, peut-être, nous aurions à ce moment souhaité que nos esprits restent en état de veille, la présentation à laquelle nous assistions nous a tous poussés à la réflexion. Non seulement étions-nous intrigués par ce qui, de prime abord, semble une improbable infrastructure politique, mais nous avons ressenti un empressement à comprendre un peu mieux un pays qui, n’ayant pas le rayonnement historique et culturel de la France, n’occupe pas nécessairement une place hégémonique dans nos habitudes de lectures culturelles et médiatiques.

Je vais donc tâcher de résumer ce qui, à travers les présentations de nos deux intervenants, le visionnage d’un court film documentaire et les périodes de question, nous a été résumé, vulgarisé et expliqué.

La dichotomie linguistique en Belgique a donné lieu à une forme de scission politique qui aujourd’hui régule en quelque sorte le pouls politique du pays. L’État fédéral de Belgique est composé de trois communautés (flamande, germanophone et française) et de trois grands centres géographiques : la Wallonie (qui regroupe une majorité de francophones), la Flandre et la grande région de la capitale, Bruxelles. La hiérarchie politique se présente comme suit :

- Les Assemblées législatives de chaque région ou chaque communauté. Elles votent des décrets qui ne s’appliquent qu’aux régions concernées et qui concernent les domaines nommés plus haut. Ainsi, le Parlement de la Communauté française de Belgique vote des décrets qui seront appliqués uniquement à Bruxelles et en Wallonie. En clair, si le parlement de la Communauté française vote un décret qui concerne l’éducation, il ne s’appliquera qu’aux écoles de la communauté française. Cette nuance est une donnée majeure qui permet de saisir la complexité du système belge.

- L’Assemblée législative fédérale, qui, composée d’une Chambre des représentants et d’un Sénat, légifère dans des domaines nationaux comme la Sécurité, la Politique extérieure, l’Armée et la Voirie.

- Finalement, le roi, Albert II, qui, bien qu’il représente le sommet du palier politique, n’a pour seule fonction que de signer les projets de loi et nommer le premier ministre, d’après le résultat des votes. Il n’est donc pas pourvu d’une fonction purement ornementale, comme au Royaume-Uni, mais il demeure en quelque sorte une forme de parure purement accessoire, puisque le système législatif possède tous les moyens juridiques à sa disposition pour outrepasser la volonté du roi, notamment celui de le démettre pour diverses raisons. Albert II reste tout de même très apprécié chez les Francophones, mais beaucoup moins dans la communauté flamande.

Tous les députés et ministres qui composent les deux premières instances sont élus. Résultat : les Belges sont à peu près toujours en train de voter. Au Canada, puisque nous avons élu depuis quelques années des gouvernements minoritaires, nous nous sommes retrouvés plusieurs fois en élections durant les trois dernières années. Cette routine en a conduit plusieurs à gueuler et manifester leur désaccord et leur lassitude en s’abstenant en grande nombre d’aller aux urnes. Ici par contre, impossible pour les Belges d’exprimer leurs ronchonnements autrement que par la parole, puisque le vote est obligatoire pour chaque citoyen belge concerné.

À même la présentation qui nous a été offerte nous avons été en mesure de comprendre les avantages et inconvénients de ce système, sans qu’ils nous soient largement expliqués. Nos questions ont confirmé nos analyses et appréhensions.

Ainsi, dans ce système plus proportionnel, basé sur la concertation, les votes des citoyens sont mieux représentés. Ainsi, chacun des quatre grands partis – le Parti socialiste (parti de centre-gauche); le parti Ecolo (gauche); le parti du Mouvement réformateur (droite) et le Centre démocrate humaniste (parti chrétien de centre) – jouit d’une bonne représentativité en chambre. Puisque tout est axé sur la discussion, les citoyens se sentent mieux représentés.

Toutefois, ce système fait en sorte que le Parti socialiste a pu maintenir sa majorité au Parlement de la communauté française depuis fort longtemps, ce qui a mis à jour depuis une dizaine d’années les exemples d’une corruption présente. En moi se profile cette réflexion à laquelle il faut éviter de donner valeur d’aphorisme : peu importe le lieu – Canada ou Belgique – la longévité politique est souvent (euphémisme qui n’a pour seule utilité que de jouer dans la nuance) synonyme de corruption.

Aussi, bien que la division géopolitique du pays en grandes régions linguistiques ait permis d’installer un climat de paix que certains disent illusoire, il faut comprendre que le système politique belge empêche toute grande réforme au niveau fédéral. Par exemple, si on décide d’instaurer le bilinguisme dans les écoles francophones en y enseignant aussi le flamand, les écoles flamandes ne seront pas concernées par le décret et pourront continuer à n’enseigner que le flamand.

Finalement, puisque le premier ministre est nommé par le roi d’après le nombre de voix (celui qui obtient le plus de votes devient le premier ministre), le phénomène de politique glorieuse est impossible en Belgique. Ici, aucun Kennedy, aucun Lévesque, aucun Mitterand, aucun Obama, qui entraînent dans la foulée exaltée de leurs grandes idées réformatrices tout un pays qui croit en eux. Cet aspect présente de lui-même ses avantages et ses désavantages. Dans le premier cas, les députés et politiciens, et leurs idées, ont une plus grande visibilité puisqu’un seul homme, chef de parti, n’aimante pas sur lui l’entièreté de l’attention médiatique, Les risques de déception sont moindres. Mais d’un autre côté, les Belges semblent moins qu’ailleurs passionnés de politique et ne témoignent pas d’une vive foi dans les grandes idées et les réformes.


En sortant de cette rencontre, nos esprits étaient éveillés par la certitude d’en savoir un peu plus. Ce voyage nous a révélé à chacun, enseignants compris, que nos connaissances autant politiques que culturelles sur le pays étaient limitées. Pour ma part, qu’en savais-je, sinon qu’il est la terre de Rodenbach, Elskamp, Maeterlinck, Verhaeren, Mertens et, malheureusement, Amélie Nothomb? J’ai même dû réaliser que je n’avais qu’une seule grande certitude : la Belgique est le paradis de la bière (une certitude bien entretenue durant ce voyage)

Nous nous sentions donc mieux informés, tout comme nous l’avions été au sujet de la littérature après la longue et lumineuse rencontre avec Luc Baba, tout en ayant conscience que nous n’avions pas tout compris. Une serveuse dans un café nous a rassurés : les Belges non plus n’y comprennent pas tout, de ce système politique complexe, mais dont certains aspects pourraient inspirer le Québec.


Jocelyn

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